On le voit, il est nécessaire d’introduire des critères supplémentaires pour réduire l’incertitude et les excès qui entourent les décisions en matière de prix, et pour revenir aux principes fondamentaux du système des brevets : récupérer les investissements en R&D et obtenir un rendement adéquat.
Le concept de prix juste ou équitable des médicaments a gagné en importance dans les débats politiques de ces dernières années en Europe et dans le monde. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a notamment défini en 2019 un prix juste (« fair price ») des médicaments comme » (…) un prix abordable pour les systèmes de santé et les patients et qui, dans le même temps, incite suffisamment l’industrie à investir dans l’innovation et la production de médicaments ».
Concrètement, un prix juste doit trouver un équilibre entre :
Pourtant personne n’ose vraiment se lancer …. mais si on payait un prix juste ?
L’Association Internationale de la Mutualité (AIM), en étroite collaboration avec Solidaris, a mis au point un modèle permettant de calculer des prix européens justes et transparents pour les médicaments1
Le modèle propose un équilibre entre les intérêts divergents des firmes qui développent les médicaments et doivent les commercialiser d’une part, et des systèmes de santé qui les financent et doivent continuer à avoir les moyens de donner accès aux traitements innovants d’autre part.
Ce modèle propose un prix juste tant pour les systèmes de santé que pour les firmes pharmaceutiques qui mettent les médicaments sur le marché. Il se base sur des critères objectifs intégrant les coûts des fabricants ainsi que des marges raisonnables, et encourage l’innovation liée à la valeur thérapeutique du médicament.
Basé sur un modèle de calcul simple et transparent, le juste prix européen couvre les coûts réels de recherche et de production, autorise un montant justifié mais limité de dépenses de vente et d’information médicale, offre une rentabilité raisonnable et accorde un bonus significatif (de 5 à 40%) pour les médicaments ayant une valeur thérapeutique ajoutée.
Le modèle de prix juste fixe un prix européen unique lorsqu’un nouveau médicament arrive sur le marché pour une nouvelle indication.
Un outil pratique a été développé ; il s’agit d’un calculateur qui permet, en rentrant quelques données de base sur le médicament d’obtenir le prix juste pour le traitement.
Avec un prix européen divisé par 5 ou par 10 par rapport aux prix actuels si on applique le modèle, le prix juste permettrait un accès large dans tous les pays.
Le modèle permet cependant de faire une différenciation du prix en fonction du pouvoir d’achat de chaque pays européen, accroissant ainsi la solidarité intra-européenne entre les pays les plus riches et les pays à plus bas pouvoir d’achat. Afin d’éviter un commerce parallèle qui risquerait de freiner l’accessibilité dans les pays à bas revenus, un principe de « fonds de compensation » entre pays pourrait être mis en place, les pays riches compensant le prix moindre des pays plus fragiles. Cela faciliterait davantage l’accès aux États membres moins riches (les firmes pharmaceutiques ayant le même intérêt à commercialiser leur médicament dans chaque pays) et augmenterait le volume total des ventes européennes, rendant le modèle plus attrayant pour les systèmes de santé et le secteur pharmaceutique.
Le modèle pourrait s’appliquer à tous les nouveaux médicaments à usage humain enregistrés de manière centralisée au niveau de l’Agence européenne des médicaments (EMA) ou à toute nouvelle indication de ces médicaments. Les traitements innovants largement utilisés qui coûtent actuellement entre 50 000 et 100 000 euros en Europe pourraient coûter quelques milliers d’euros seulement à certains pays de l’Est.
La mise en place institutionnelle autour de l’achat centralisé des vaccins COVID-19 est une source d’inspiration de ce que la solidarité peut accomplir pour garantir l’accès aux médicaments pour tous les citoyens européens.
Même si la transparence totale des coûts réels pour l’industrie devrait être l’objectif ultime, elle peut, en pratique, ne pas être possible.
Par exemple, attribuer les coûts de R&D de tous les échecs aux seuls médicaments qui sont finalement commercialisés, sans double paiement, peut être extrêmement compliqué pour une entreprise, même de bonne foi. Il est donc nécessaire de prévoir un système qui encourage la transparence mais qui n’en dépend pas. Le modèle propose donc d’autoriser un montant forfaitaire de 250 millions d’euros pour la R&D de chaque nouveau médicament. On déterminer ensuite, sur la base d’une prévalence théorique, le montant de la R&D qui sera récupéré sur le traitement de chaque patient.
Les firmes pourront cependant demander le montant réel qu’elles ont dépensé pour la recherche si il est supérieur à 250 millions d’euros, mais un plafond de 2,5 milliards d’euros permettra d’éviter des coûts de recherche gonflés et favorisera une recherche efficace.
Et pour ce qui est de l’implémentation, aujourd’hui la Commission européenne délivre l’autorisation de mise sur le marché des médicaments, mais les États membres sont seuls responsables de la fixation du prix. Toutefois, l’Union européenne est compétente pour aider les États membres à améliorer la santé publique. L’Agence européenne des médicaments (EMA) pourrait donc collecter les données nécessaires au calcul du prix juste dans le cadre des données obligatoires fournies pour l’autorisation de mise sur le marché et les organismes d’évaluation des technologies de la santé (ETS), qu’ils soient européens ou nationaux, pourraient évaluer le niveau de prime à l’innovation. Enfin, la Commission européenne pourrait calculer et rendre public le prix juste du médicament.
L’implémentation d’un nouveau système de prix juste au niveau européen prendra du temps. Mais rien n’empêche la Belgique de déjà avancer dans la bonne direction !
C’est pourquoi Solidaris lance une pétition pour demander au parlement d’inscrire dans la loi l’obligation pour le ministre des affaires sociales de prendre en compte le prix calculé sur base d’un modèle de prix juste lorsqu’il décide du remboursement d’un nouveau médicament.
Ce nouvel élément s’ajoutera aux autres critères analysés actuellement (comme la valeur thérapeutique et le budget) et donnera un nouveau point de départ pour les négociations sur le prix. Si le prix demandé par la firme est 10 fois supérieur à celui calculé de manière transparente, la firme devra au minimum expliquer la différence. Et dorénavant ce ne sera plus les représentants du système qui seront mal à l’aise de demander une baisse de prix de 90% mais bien ceux de la firme qui demanderont un prix fois 10 !
Solidaris a appliqué le modèle de prix juste à une série de 7 médicaments2.
Pour ces 7 médicaments, les prix actuels sont jusqu’à 18 fois plus élevés que les prix justes.
*par traitement, en euros
** prix pour 10 ans de traitement
Source : calculs Solidaris
1 https://www.aim-mutual.org/wp-content/uploads/2021/06/AIMs-fair-pricing-model-Accompanying-paper-to-the-fair-pricing-calculator_June2021.pdf. Disponible en français sur www.lejusteprixdesmedicaments.be
2 Qui avaient fait l’objet d’une étude similaire en Allemagne par la caisse d’assurance TK qui a montré que l’Allemagne économiserait chaque année 13 milliards d’euros en appliquant le modèle.
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