La belgique dans le noir

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1. Prix et budget

La Belgique subit de plein fouet les augmentations de prix au niveau mondial.

Nous dépensons plus de 5,4 milliards d’euros par an pour rembourser les médicaments sur un budget de près de 32 milliards d’euros pour les soins de santé.

Ces médicaments contribuent à améliorer la santé des belges, mais le coût des nouveaux traitements est une menace pour le remboursement des traitements futurs. Les médicaments récents sont une des principales causes de la croissance des coûts pour l’assurance maladie. Ce sont en effet les dépenses pour les médicaments délivrés à l’hôpital aux patients ambulatoires qui explosent ces dernières années avec des taux de croissance autour de 20% par an

Cette augmentation des coûts est due aux prix des nouvelles thérapies qui sont sans commune mesure avec ceux des anciens traitements. Prenons l’exemple de l’hépatite C qui a marqué l’actualité en 2015 et continue de choquer tellement le prix des nouveaux traitements semble surréaliste : le traitement avec un médicament de la classe des interférons (comme le Pegintron® et le Pegasys®) était déjà un traitement cher. Une partie importante du coût était justifié par la production complexe de ces médicaments biologiques (produits à partir de substances vivantes). Une injection coûtait environ 250 € et le traitement durait 48 semaines pour un coût total de 13.000 euros1 par patient. L’arrivée des nouveaux antiviraux comme le Sovaldi®, l’Olysio®, le Daklinza® et l’Harvoni® ont fait augmenter le prix du traitement à entre 33.000 euros et 150.0002 euros par patient (souvent pour une combinaison de 2 médicaments) pour un traitement de 12 à 24 semaines. Le coût de production de ces traitements est beaucoup moins élevé que celui des interférons car il s’agit de molécules chimiques (donc de simples comprimés qui coûtent sans doute quelques euros à produire).

L’oncologie est un secteur où les besoins sont criants où les évolutions de prix sont sans doute les plus flagrantes. Si on regarde le coût des traitements pour un cancer bronchique par chimiothérapie,  un traitement de la fin des années 1990 (comme le Taxotere®) coûte aujourd’hui moins de 2.500 euros (il existe même des génériques). La génération suivante apparue dans le milieu des années 2000, comme le Tarceva® ou l’Alimta® coûtent entre 5 et 12.0003 euros par traitement. Ce genre de croissance des coûts était raisonnable en considérant les coûts de la recherche et du développement de ces médicaments. Mais prenons le cas du traitement du mélanome (cancer de la peau très agressif) ; il se faisait avec une combinaison de la molécule dacarbasine (40€ par boîte) et de fotémustine (442€ par flacon pour injection) qui coûtait quelques milliers d’euros. Les nouveaux traitements apparus dans les années 2010 comme le Yervoy® ou le Keytruda® coûtent entre 140.000 et 200.000 euros par patient.  Sous l’effet de ces hausses de prix, les dépenses pour les médicaments contre le cancer sont passées de 368 millions à 1.370 millions entre 2013 et 2020 (en brut4), soit une augmentation de 1 milliard d’euros en 7 ans.

Une autre problématique en Belgique est le cas des médicaments qui traitent des maladies graves et rares, dont certaines sont mortelles, et touchent un nombre restreint de patients mais à un coût par patient extrêmement élevé : de 188.000 à plus de 450.000 euros par patient et par an pour les 10 médicaments les plus chers par patient5. Si on regarde le coût total par patient sur la durée totale du traitement (à vie en général) on atteint donc des montants par patient de plusieurs millions d’euros !

2. Poids de l’industrie pharmaceutique

Pourquoi les autorités belges ne sont-elles pas plus strictes sur le prix des médicaments ? Outre les différents outils utilisés mondialement par l’industrie, la Belgique a une faiblesse supplémentaire. En 2021, 42.062 personnes étaient employées dans des entreprises biopharmaceutiques en Belgique. Et selon pharma.be (la coupole de cette industrie), pour chaque emploi créé dans le secteur biopharmaceutique belge, deux autres emplois sont créés dans l’économie belge. Le secteur représente ainsi un total de plus de 132 000 emplois.   

La puissance du lobby pharmaceutique est donc maximale en Belgique.

Cette industrie arrive à négocier avec chaque nouveau gouvernement un « Pacte » censé trouver un équilibre entre les intérêts de ces investisseurs puissants et ceux de l’état. Outre que ces pactes sont parfois très favorables à cette industrie (comme celui signé avec Maggie De Block), il est interpelant de constater que les entreprises individuelles font tout pour les contourner (à commencer par refuser des prix raisonnables qui correspondraient à la trajectoire budgétaire négociée).

3. Explication du processus de remboursement

Mais comment arrive-t-on à de tels prix ? Des procédures existent, non ??? 

Bien sûr !

Quand une firme pharmaceutique a développé un nouveau médicament et a reçu l’approbation de l’Agence européenne des médicaments (EMA), elle présente un dossier de remboursement dans tous les états membres. Chaque pays analyse alors l’intérêt du médicament et négocie avec la firme pour arriver à un prix qu’il estime raisonnable. En Belgique, le prix d’un nouveau médicament remboursé est le résultat de négociations entre la firme pharmaceutique et le ministre des affaires sociales, sur base d’une proposition de la Commission de remboursement des médicaments de l’INAMI.

Mais …

Le prix qui est demandé au départ par la firme pharmaceutique est libre, il n’est absolument pas lié aux coûts de recherche ou de production. Les négociations constituent souvent un bras de fer entre l’industrie pharmaceutique et les représentants du système de santé.

Jusqu’au début des années 2000, les firmes utilisaient l’argument de l’amortissement de la coûteuse recherche qui devait être amortie pour justifier des prix élevés. Aujourd’hui, elles ont abandonné ces arguments pour les remplacer par un principe attirant, celui d’un prix basé sur la valeur thérapeutique du médicament (« value-based pricing »). Ce changement qui semblait positif puisqu’il permettait aux décideurs de comparer différents traitements et d’utiliser les ressources pour celui qui apporte le plus à la santé, a conduit à une totale déconnexion entre le prix payé pour les médicaments et ce qu’ils ont coûté à la firme pharmaceutique. Et en utilisant des modèles très sophistiqués, les firmes sont parvenues à obtenir des prix qui n’ont aucune base objective et qui s’envolent. Car même en ayant un médicament qui sauve la vie, quelle est la limite au prix de la vie ? Il n’y a donc pas de limite au prix demandé par la firme…

Bien sûr, les systèmes de santé négocient les prix pour revenir à un niveau plus raisonnable. Mais quand on part de très haut, on ne peut qu’atterrir haut ! Car qui ose négocier une baisse de prix de 90% quand on parle d’un enfant ou d’un malade du cancer ? Et de toute façon, la firme ne l’acceptera pas, elle préfèrera ne pas vendre dans votre pays plutôt que de vous donner un bon prix … que les voisins vont se presser de réclamer également ! Alors la négociation sera claire, mon prix ou pas de médicament ? Ca s’appelle du chantage !

Pour les médicaments chers et en particulier pour les médicaments contre le cancer, les accords sur le prix entre le ministre et la firme pharmaceutique sont le plus souvent secrets. Ces accords sont souvent appelés « contrats article 81 » ou « article 111 » en référence à l’article dans l’arrêté royal qui réglemente le remboursement des médicaments6.

Il n’y a aucune transparence sur les restitutions octroyées pour chaque médicament, ce qui rend impossible toute analyse de coût pour ces médicaments, tant avec des éventuels comparateurs en Belgique qu’avec l’étranger. Ce système de négociations secrètes permet aux firmes pharmaceutiques de demander des prix élevés, afin de prétendre qu’elles ont obtenu ce prix facial et de négocier ce même prétendu prix dans les pays voisins. Ensuite, les firmes accordent des ristournes plus ou moins importantes, et tout aussi confidentielles, à la plupart des pays.

En Belgique seul le pourcentage moyen de restitutions sur l’ensemble des médicaments sous contrat durant une année est rendu public. Il s’élevait pour 2020 à 41,19% du prix facial et les restitutions représentaient 754 millions d’euros.7

Il est souvent difficile de garder à l’esprit que ces restitutions ne sont que des « flux financiers » sans aucune signification en ce qui concerne la valeur du médicament ; en effet, plus une firme demande un prix de départ « gonflé », plus elle donnera des restitutions pour arriver au prix qu’elle était prête à accepter. Il n’y a aucune économie additionnelle, simplement des dépenses « gonflées » compensées par des ristournes « gonflées ».

Pour 2023, d’après les estimations techniques de l’INAMI, les restitutions représenteront plus de 1,4 milliards d’euros. En seulement 3 ans, ces restitutions ont donc pratiquement doublé. Cette croissance ne veut absolument pas dire que les prix réels baissent puisque les dépenses réelles (après déduction de ces restitutions) vont augmenter de 812 millions sur la même période.

1 Coût du traitement interféron + ribavirine (comme le Copegus) qui a un coût modéré. 

2 Le coût du traitement varie en fonction du génotype du patient.

3 Le coût varie en fonction du poids du patient.

4 Dépenses brutes çàd avant déduction des restitutions faites dans le cadre des contrats confidentiels.

5 Voir l’étude Solidaris « Quel serait l’impact d’un prix juste pour les médicaments en Belgique ?»

6 Initialement c’était les articles 81 et suivants de l’arrêté royal du 21 décembre 2001 qui réglementait ces conventions. Cet arrêté a été remplacé par l’arrêté du 1er février 2018 où ces contrats sont régis par les articles 111 et suivants.

7 INAMI-MORSE, Rapport 2021.

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