Quand une firme pharmaceutique a développé un nouveau médicament, la procédure classique est de demander l’approbation de l’Agence européenne des médicaments (EMA) pour sa mise sur le marché en Europe. Celle-ci évalue les bénéfices et les risques pour la santé du nouveau médicament sur base des essais cliniques menés par la firme pharmaceutique.
Ensuite, la firme décide si elle veut présenter un dossier de remboursement dans chaque pays européen. Chaque pays analyse alors l’intérêt du médicament pour sa population et négocie avec la firme pour arriver à un prix qu’il estime raisonnable. C’est la firme qui décide si, où et quand elle introduit sa demande de remboursement. Les firmes choisissent en général en priorité les pays avec les marchés les plus intéressants (qui payeront le prix le plus élevé ou avec un gros volume) et délaissent parfois complètement certains pays.
En Belgique, c’est le ministre des Affaires sociales1 qui décide du remboursement au terme d’une procédure de 180 jours comprenant l’avis de la Commission de remboursement des médicaments logée au sein de l’lnstitut national d’assurance maladie-invalidité (INAMI). S'il y a un accord entre la firme et le ministre, le médicament est alors ajouté à la liste des médicaments remboursés via un arrêté ministériel avec un prix, un niveau de remboursement (100% pour les médicaments vitaux, avec « ticket modérateur » à charge du patient pour les autres) et une liste d’indications (quelle maladie, pour quel groupe d’âge de patients, quel stade de la maladie, quelle ligne de traitement, etc.).
Le ministre en charge de l’Economie décide préalablement au remboursement d’un prix maximum pour chaque nouveau médicament, après avis d’une Commission des prix au sein de son administration. Ce prix est un maximum, ce qui signifie que le ministre de la Santé ne peut pas décider de rembourser le médicament à un prix plus élevé. Il peut par contre le diminuer autant qu’il veut (si il y arrive !).
Ce prix maximum a en réalité très peu d’effet sur le niveau final du remboursement car les éléments présentés dans le dossier ne permettent pas de discuter beaucoup ce prix ; la structure de prix du médicament est en effet basée pour la majeure partie sur un « prix de transfert » qui est le prix que la firme pharmaceutique mère décide de « facturer » à sa filiale belge. Aucun détail n’est donné sur ce « prix de transfert » et il n’a aucune obligation de refléter des coûts réels, c’est juste un choix comptable de la firme. Il n’y a donc aucun élément objectif qui permette de le contester. Le reste de la structure de prix est constitué des charges de la filiale belge et d’une marge bénéficiaire (de l’ordre de 5% en général) pour celle-ci.
De plus, comme le prix maximum est « bloquant » pour le remboursement (si la firme n’est pas d’accord d’être remboursée à ce prix, elle ne peut pas négocier un prix plus haut pour le remboursement avec le ministre de la santé et les négociations pour le remboursement s’arrêtent), le ministre en charge de l’Economie et la commission qui le conseille ont tendance à adopter une attitude prudente afin de ne pas bloquer les négociations au niveau du remboursement.
Le prix final est donc fixé par le ministre de la Santé dans le cadre de la procédure de remboursement du médicament, sauf pour les médicaments non-remboursés (parce que les négociations échouent ou parce que la firme n’a jamais demandé le remboursement) pour lesquels le prix est fixé par le ministre de l’Economie.
Longtemps les firmes ont utilisé l’argument de l’amortissement de la coûteuse recherche pour justifier des prix élevés. C’est la base même du principe des brevets qui octroient un monopole de vente sur un produit afin de rentabiliser les investissements qui ont été faits pour le développer. Cela pouvait donc paraître défendable puisque les firmes ne peuvent pas vendre à perte, on le comprend bien.
Aujourd’hui, elles ont totalement abandonné cet argument pour le remplacer par un principe attirant, celui d’un prix basé sur la valeur thérapeutique du médicament (« value-based pricing »). Ce changement peut sembler positif puisqu’il permet de comparer différents traitements et d’utiliser les ressources budgétaires limitées pour celui qui apporte le plus à la santé. Mais les choses ne sont pas si simples. D’abord parce que de très nombreuses incertitudes planent sur l’efficacité d’un nouveau médicament (un essai clinique n’est pas la vie réelle et on a rarement assez de recul pour bien évaluer l’efficacité du médicament). Il a aussi conduit à une totale déconnexion entre le prix payé pour les médicaments et ce qu’ils ont coûté à la firme pharmaceutique. Et en utilisant des modèles très sophistiqués pour démontrer une valeur chaque fois supérieure à ce qui existe, les firmes sont parvenues à obtenir des prix qui sont extrêmement élevés, car il n’y a pas de limite au prix d’une vie, et donc au prix que peut demander une firme ! Et l’absence de base objective (sur les coûts pour la firme mais aussi pour les effets sur la santé) rend les négociations très difficiles.
Car, bien sûr, les systèmes de santé négocient les prix pour revenir à un niveau plus raisonnable. Mais quand on part de très haut, on ne peut qu’atterrir haut ! Car qui ose négocier une baisse de prix de 90% quand on parle d’un enfant malade ou d’un patient avec un cancer ? Et de toute façon, la firme n’acceptera pas de baisser son prix, elle préfèrera ne pas vendre dans votre pays plutôt que de vous donner un bon prix … que les voisins vont s’empresser de réclamer également ! Alors la négociation sera claire, mon prix ou pas de médicament ! Et nulle part n’interviendra le fait que, si il est vrai que seules les firmes pharmaceutiques mettent des médicaments sur le marché – à de très rares exceptions près-, presque tous sont issus d’un recherche au départ financée par de l’argent public !
La Commission de remboursement des médicaments (CRM) est une instance de l’INAMI (l’Institut national d’assurance maladie-invalidité) chargée de remettre un avis au ministre des Affaires sociales1 sur le remboursement des nouveaux médicaments ou des nouvelles indications pour des médicaments existants. Elle est composée des acteurs de la santé concernés par les médicaments, à savoir les mutualités (qui sont les co-gestionnaires de l’assurance-maladie) et des prestataires (médecins et pharmaciens), et par des scientifiques issus des universités du pays. L’industrie pharmaceutique y siège également mais sans droit de vote, de même que les représentants des ministres concernés (Affaires sociales, Santé publique, Economie et Budget).
Cette commission formule des propositions pour le remboursement (ou non) des nouveaux médicaments sur base d’un dossier extrêmement solide préparé par les experts internes de l’INAMI sur base du dossier introduit par la firme pharmaceutique. Une première proposition sur les patients qui pourraient être concernés par le remboursement et à quel coût pour la sécurité sociale est formulée par la CRM. Elle est envoyée à la firme qui donne son accord ou, plus généralement, fait une contre-proposition. La CRM fait alors une proposition définitive qui est envoyé au ministre afin qu’il décide du remboursement (ou non) du médicament. Le ministre peut déroger à l’avis de la CRM pour des raisons budgétaires ou sociales (d’accès par exemple).
Le rôle de la CRM a été fortement réduit ces dernières années suite à l’apparition des conventions secrètes signées entre la firme pharmaceutique et le ministre de la Santé. Ces conventions ou contrats ont pour but officiel de réduire les incertitudes sur ce que le médicament va coûter ou sur ses effets sur la santé, mais en réalité servent essentiellement à garder un prix « facial » public élevé tout en octroyant des ristournes à l’assurance maladie afin de rester dans des coûts plus raisonnables. La CRM formule un avis sur le niveau de prix acceptable mais c’est un groupe de travail tenu à une totale confidentialité qui négocie le contrat. La CRM n’est pas informée du résultat des négociations et ne sait donc pas quel est le prix réel du médicament.
C’est le ministre des Affaires sociales qui prend toutes les décisions pour le remboursement des médicaments. Ce ministre a également comme compétence la Santé publique2. Pour simplifier la lecture, il sera parfois fait référence à ce ministre dans les FAQ comme au « ministre de la Santé ».
A l’exception de la petite intervention de son collègue de l’Economie qui peut éventuellement plafonner un prix, il est seul maître à bord. Enfin, avec son collègue du Budget qui a toujours le pouvoir de s’opposer au remboursement (ou à toute autre décision) si il l’estime insuffisamment couverte par le budget. Et bien sûr, avec l’accord de la firme pharmaceutique car personne ne peut imposer un prix à une firme pharmaceutique. Si il n’y a pas d’accord sur le prix, le médicament n’est tout simplement pas remboursé.
Les critères à évaluer pour accepter le remboursement d’un nouveau médicament sont définis dans la loi. Ils sont détaillés dans un arrêté royal.
Si le médicament est efficace mais qu’il existe déjà un médicament avec un effet similaire, c’est simple, le nouveau ne pourra pas être vendu plus cher3. Une petite subtilité subsiste : le premier médicament arrivé va perdre son brevet plus tôt que les suivants arrivés plus tard et donc à un moment les derniers médicaments arrivés seront plus chers que les premiers arrivés, mais sans plus-value !
Pour les nouveaux médicaments dits « innovants », l’évaluation menant au remboursement est plus complexe. La CRM tient compte de critères scientifiques ; elle évalue la valeur thérapeutique (le médicament est-il plus ou moins efficace que ce qui existe ? pour qui ?), l’intérêt de la spécialité dans la pratique médicale (existe-t-il un traitement efficace pour cette maladie ? et/ou pour ce groupe de patients en particulier ?) et l’incidence budgétaire pour l’assurance maladie (combien de patients seront concernés et à quel prix). Enfin, elle analyse le rapport entre le coût pour l’assurance et la valeur thérapeutique du médicament à l’aide de ce qu’on appelle une analyse pharmaco-économique. Cette analyse est proposée par la firme pharmaceutique sur base d’un modèle statistique qui utilise des données issues des essais cliniques réalisés pour le médicament. Le résultat est présenté en termes de coût additionnel par rapport au traitement standard (ICER : incremental cost-effectiveness ratio) que l’on divise généralement par le nombre d’années de vie en parfaite santé gagnées (QALY : quality-adjusted life year) pour obtenir l’ICER/QALY.
Même si ces analyses sont extrêmement sérieuses, il y a beaucoup de questions sur les modèles utilisés par les firmes pour déterminer le coût ou la plus-value, mais il y a surtout le fait qu’il n’y a pas de niveau objectif pour une année de vie gagnée. Combien sommes-nous prêts à payer pour prolonger d’un an la vie d’un patient atteint du cancer ? Et celle d’un enfant asthmatique? Ou pour améliorer de 10% la qualité de la vie d’une personne migraineuse ? Personne n’a la réponse, et pourtant c’est sur cette base que le prix est fixé. Et à défaut d’avoir un niveau de prix fixé, beaucoup de médicaments exigent au minimum le niveau que d’autres ont obtenu, et un coût additionnel par année de vie gagnée entre 20.000 et 40.000 euros a souvent dû être accepté. Pour les traitements pour le cancer, ce niveau est même très largement dépassé puisque des prix de 100.000 euros par traitements sont fréquents et que la prolongation de la vie de quelques mois est malheureusement la norme pour beaucoup d’entre eux.
Le budget de l’assurance maladie pour les médicaments remboursés en 2023 s’élève à 5,6 milliards d’euros (5.639.861.000 €). C’est le budget net qui va devrait être dépensé par la sécu, çàd le montant après avoir déduit les ristournes confidentielles prévues dans les contrats (voir Les négociations secrètes). Pour 2023, on estime ces ristournes à 1,4 milliard (1.429.348.000 €).
Pour savoir combien la Belgique dans son ensemble dépense pour les médicaments, il faut ajouter la part payée par les patients pour les médicaments remboursés qui s’élève à environ 400 millions d’euros. Si on prend toutes les dépenses des ménages pour les médicaments (pour les médicaments remboursés et les médicaments non-remboursés), les belges dépensent environ 2,4 milliards chaque année.
Les ventes totales de médicaments en Belgique se montent donc à près de 8 milliards d’euros.
Quand une firme pharmaceutique n’est pas d’accord avec le prix proposé pour son médicament par la Commission de remboursement des médicaments, elle peut demander à entrer en négociation pour une convention selon l’article 111 de l’arrêté royal du 1er février 2018 qui règle les procédures pour le remboursement des médicaments4. Bien que ce soit la plupart du temps la firme qui le demande, la Commission peut elle aussi proposer d’entamer ces négociations si elle estime qu’il y a des incertitudes sur ce que va coûter le médicament (sur le nombre de patients traités par exemple). Dans tous les cas, la Commission fixera le cadre qu’elle souhaite pour ce contrat ; elle donne mandat au « groupe de travail contrats » de négocier afin d’arriver à tel prix, avec un nombre de patients de autant, etc.
C’est le ministre des Affaires sociales5 qui décide si les négociations peuvent avoir lieu, et c’est lui qui décidera si un contrat peut être signé (dans la pratique le contrat sera signé avec l’administrateur général de l’INAMI).
Afin de négocier les détails de la convention, le groupe de travail se réunit (généralement 2 fois) avec la firme, le représentant du ministre des Affaires sociales, celui du ministre du Budget, les représentants de l’INAMI et des représentants des mutuelles. Ce groupe de travail est tenu à une confidentialité TOTALE et ce qui est discuté ainsi que le contrat qui sera signé ne sont jamais dévoilés à personne. La CRM est souvent stricte dans la fixation du cadre pour le contrat mais elle n’a aucun pouvoir d’imposer qu’un contrat ne soit pas signé si ce cadre n’est pas respecté. Et il est évident au vu des restitutions moyennes qui sont perçues chaque année, que le cadre de la CRM n’est pas toujours respecté. La CRM réclame régulièrement des diminutions de coûts de 50, 75 ou même 90% et le taux moyen de restitution a grimpé de 19% à 41% entre 2016 et 2020, mais reste bien loin de ce qui était demandé.
Un contrat est signé quand il y a un accord entre le ministre de la Santé et la firme pharmaceutique, et l’approbation du ministre du Budget. Les autres membres (INAMI et mutuelle) peuvent ne pas être d’accord, ça n’empêche pas le contrat d’être signé.
Lorsqu’un contrat est signé, le prix facial public est inchangé, le médicament est facturé aux pharmacies ou aux hôpitaux à ce prix élevé, mais des restituions sont données par la firme chaque année sur base des ventes. Ces restitutions sont souvent calculées par tranche, la firme ne remboursant rien ou presque pour les premiers patients mais 20% par exemple pour les ventes entre 5 et 10 millions et 60% pour les ventes au-delà.
Les mutualités participent à la CRM (Commission de Remboursement des Médicaments) au même titre que les autres membres de cette commission. Elles analysent les dossiers introduits par les firmes pharmaceutiques et elles votent sur les conditions de remboursement, dont les réductions de prix proposées par l’INAMI. Le cas échéant elles font une contre-proposition. Le poids des mutuelles est important car elles disposent de 8 voix sur les 23 votantes et sont particulièrement actives dans cette commission. Mais dans les faits, la marge de manœuvre des mutualités est relativement limitée puisque dans la majorité des situations difficiles, notamment lorsque les firmes refusent les réductions proposées par l’INAMI, celles-ci demandent de négocier un contrat avec le ministre.
Des représentants des mutualités sont aussi présents dans ces fameuses négociations de contrat secrètes où ils tentent de faire respecter le cadre qui a été fixé par la CRM. Mais un contrat peut être signé entre la firme et le ministre malgré leur opposition dans ce groupe de travail, et ils sont tenus légalement à ne pas divulguer le prix finalement négocié entre la firme et le ministre. Même si les représentants des mutualités ont la connaissance des résultats finaux des contrats, ils ne peuvent en aucun cas utiliser cette information, ni dans les discussions qui ont lieu à la CRM, ni dans aucun autre forum.
1 qui est aussi le ministre de Santé publique actuellement. Pour simplifier la lecture, il sera parfois fait référence à ce ministre dans les FAQ comme au « ministre de la Santé ».
2 Ces compétences ont déjà été et pourraient être exercées par 2 ministres.
3 La classe de plus-value 1 signifie qu’il y a une valeur thérapeutique ajoutée par rapport aux traitements existants. Il peut alors y avoir un surcoût. Les médicaments en classe 2 n’apportent rien de plus que ceux qui sont déjà remboursés et ne peuvent pas réglementairement coûter plus.
4 Auparavant, c’est l’article 81 de l’arrêté royal du 21 décembre 2001 qui réglementait ces conventions, d’où l’appellation encore fréquemment utilisée de « contrats article 81 »
5 qui est aussi le ministre de Santé publique actuellement. Pour simplifier la lecture, il sera parfois fait référence à ce ministre dans les FAQ comme au « ministre de la Santé ».
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