Les procédures actuelles de fixation des prix des médicaments suivent un certain nombre de principes insatisfaisants et de mécanismes défectueux.
La méthode de fixation du prix lié à la valeur thérapeutique du médicament (« value-based pricing ») utilisée universellement part du coût pour gagner une année en parfaite santé 1. La plus grande faille, et de loin, de cette méthode est la valeur seuil subjective que l’on autorise (censée refléter la volonté de payer ou « willingess to pay ») pour cette année en parfaite santé (« QALY »). De nombreux pays européens utilisent des valeurs arbitraires démarrant à 40.000€ mais pouvant monter très facilement à plus de 100.000€.
Si certains économistes de la santé tentent de justifier ces valeurs par des études laborieuses comparant les coûts de divers services médicaux, le montant du seuil est, à la base, aléatoire. Au lieu d’accepter de payer 40.000€ pour une année de vie en plus, si on avait par exemple décidé de payer 4.000€, les prix de tous les nouveaux médicaments seraient divisés par 10 ! En bref, toute la superstructure de la méthodologie est construite sur du sable philosophique : des jugements de valeur subjectifs et chers pour les systèmes de santé.
La combinaison de l’utilisation de cette méthodologie erronée et de l’absence de lien avec les coûts réels permet tous les abus.
Car contrairement à ce que prétendent les entreprises, les prix ne servent pas à couvrir les coûts de recherche et développement (R&D). Les dépenses de R&D sont en effet inférieures aux dépenses de marketing et aux bénéfices ; en 2014, les 10 plus grandes entreprises ont investi 66 milliards de dollars en R&D, tout en dépensant 98 milliards de dollars en marketing et en générant 90 milliards de dollars de bénéfices 2
Autre illustration ; les 82 milliards de dollars de revenus entre 2014 et 2019 pour les nouveaux médicaments antiviraux contre l’hépatite C présentent un cas évident de rentabilité excessive, avec des prix sans commune mesure avec les coûts de développement et de production très faibles, et un énorme frein à l’accès. L’OMS estime en effet que en 2015 et 2016 moins de 2 millions de patients ont été traités dans le monde sur les 71 millions de patients atteints, alors que 1.75 million nouveaux patients ont été infectés sur la même période.3
Et le soutien financier sans précédent des autorités à la recherche sur les vaccins et traitements COVID-19 nous rappelle la part importante de la recherche financée par les pouvoirs publics et réactive la crainte que nous ne payions deux fois les médicaments. Le prix par dose des vaccins COVID-19 est un exemple flagrant de prix abusif. Le prix varie en effet entre € 1,78 et €18 en Europe.4 Or les coûts de production des vaccins, même ceux à ARNm de nouvelle génération, ne dépassent en aucun cas 2€5
L’exemple du COVID-19 est un rappel brutal du déséquilibre des forces et de l’opacité des coûts réels. Pour les produits COVID-19 développés à l’aide d’importants financements publics, la transparence sur les coûts aurait au moins dû être la règle.
Afin d’assurer la prévisibilité, tant pour l’industrie (qui a besoin de savoir comment ses investissements seront récupérés) que pour les systèmes de santé (qui ont besoin de savoir combien ils paieront), les méthodes de fixation des prix doivent être plus transparentes. Le prix doit en outre être déterminé par des éléments objectifs et vérifiables, tels que les coûts pour l’entreprise pharmaceutique.
L’accent mis sur la « valeur » du traitement crée un environnement difficile pour la fixation du prix des produits innovants. Les procédures de fixation des prix sont complexes et impliquent des évaluations sophistiquées des technologies de la santé et des discussions difficiles sur la « volonté de payer » (« willingness to pay »). De plus, le manque de données solides sur les performances du médicament, l’absence d’informations sur les coûts de recherche et développement des entreprises et les prix nets non divulgués compliquent les efforts des gouvernements pour fixer des prix justes pour les médicaments.
D’autres éléments encore plus complexes à cerner influencent la fixation des prix. L’ »effet d’ancrage », biais cognitif consistant à se fier trop fortement au premier élément d’information proposé (l' »ancre ») lors de la prise de décision, joue de toute évidence un rôle dans la fixation du prix des médicaments. En particulier pour les médicaments orphelins, qui ne font pas l’objet d’analyses coût-efficacité, le prix annoncé par la firme fixe la fourchette du prix qui peut être discutée.
Cette technique très répandue de négociation des prix est même parfois renforcée par l’annonce précoce, par les entreprises, de prix irréalistes extrêmement élevés pour des thérapies futures, ce qui crée des attentes de coûts élevés dans l’esprit des acheteurs et empêche tout prix raisonnable à un stade ultérieur. L’annonce du CEO de Novartis avant la commercialisation de son controversé médicament Zolgensma que le prix pourrait monter jusqu’à 5 millions de dollars n’avait-elle pas simplement pour but de rendre le prix final de 2 millions plus acceptable ?
En outre, les revenus très importants générés par les médicaments chers permettent aux firmes pharmaceutiques de racheter à coup de milliards de dollars des petites entreprises qui développent des médicaments prometteurs, qui a leur tout seront vendus à prix d’or pour récupérer des investissements démesurés !
Pour contrôler cette tendance inflationniste, il est nécessaire de fixer un point de départ plus objectif pour les négociations de prix. Or, c’est exactement l’inverse qui se passe dans la réalité ! Les contrats confidentiels sont utilisés pour la quasi totalité des nouveaux médicaments ; les nouveaux traitements contre le cancer remboursés depuis 2015 sont à plus de 98% sous contrat !
Ces mécanismes et les prix qui en découlent prix ont des conséquences sur notre santé. Les médicaments innovants importants devraient être considérés comme des « biens publics » accessibles à tous.
La Belgique est pourtant un des 22 pays européens qui ont dû limiter l’utilisation des traitements contre l’hépatite C aux patients les plus sévères pour des raisons purement budgétaires5.
Un autre exemple est celui des nouveaux traitements contre le cancer, dont le coût par patient est tellement élevé que les systèmes de santé sont obligés de les réserver aux 2ème ou 3ème ligne de traitement pour d’abord utiliser des traitements moins chers mais souvent moins confortables ou moins efficaces.
L’utilisation des QALY dans le service national de santé du Royaume-Uni a par exemple tellement limité l’accès des Britanniques aux nouvelles thérapies contre le cancer que le Parlement a complètement ignoré la méthodologie des QALY et a créé un « Fonds pour les médicaments contre le cancer » qui paierait les nouveaux médicaments contre le cancer indépendamment de leur évaluation des QALY.
1quality adjusted life year (gained)
2 DiMasi J.A., Grabowski H.G., Hansen R.W. , Innovation in the pharmaceutical industry : New estimates of R&D costs, Journal of Health Economics (472016) 20-33, 2016.
3 Barber M. J., D.Gotham, G. Khwairakpam, Andrew Hill, Price of a hepatitis C cure: Cost of production and current prices for direct-acting antivirals in 50 countries, Journal of Virus Eradication, Volume 6, Issue 3,2020.
4 Dyer O. Covid-19 : Les pays apprennent ce que les autres ont payé pour les vaccins BMJ 2021 ; 372 :n281.
5 Kis Z, Kontoravdi C, Shattock R, Shah N. Resources, Production Scales and Time Required for Producing RNA Vaccines for the Global Pandemic Demand. Vaccines (Bâle). 2020 Dec 23;9(1):3.
6 Barber M.J. Op. Cit.
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